On sait, depuis les travaux d’Isabelle Baszanger [1] et plus récemment d’André Grimaldi, que le paradigme de la prise en charge des maladies chroniques diffère de celui des maladies aiguës. Les qualités de la médecine des maladies aiguës sont la technicité le sang-froid et la rapidité, alors que celles de la médecine des maladies chroniques sont l’écoute, l’empathie et la pédagogie[2].
Or les évolutions de la médecine et des organisations du travail soignant sont favorables aux soins aïgus et techniques, et défavorables aux soins dits « humains ». Comme le dit Bruno Falissard, l’engouement pour les innovations techniques coûteuses (qui améliorent les soins aïgus) peut avoir pour conséquence la réduction des « dépenses sur ce qui n’est pas technologique dans le soin, c’est-à-dire le temps des soignants, et par là même leur possibilité de s’investir dans une relation thérapeutique »[3].
Cette relation est fondamentale pour les maladies chroniques, mais elle repose sur des soins moins visibles : ils supposent de s’adapter à la personne et à sa situation individuelle, de prendre des décisions partagées entre soignants et soignés, de travailler en équipe, tout en renonçant à l’idée de la toute-puissance de la médecine qui reste l’horizon de la médecine des maladies aïgues. Ils sont de ce fait peu « protocolisables », installés dans le temps long de la maladie chronique, et plus difficiles à évaluer.
Ils répondent pourtant aux attentes formulées par les malades chroniques eux-mêmes, qui, dans la suite des associations de malades du Sida (AIDS) ou des associations de proches de malades (UNAFAM) s’organisent, pour peser dans les décisions concernant l’organisation du système de santé et la conception des soins et appellent régulièrement à des soins centrés sur l’humain, guidés par une véritable éthique du care [4].
En psychiatrie, les usagers et patients (Fnapsy / CRPA) oeuvrent eux aussi pour de nouveaux paradigmes de soins. Confrontés aux discours dominants pour lesquels la maladie mentale entraîne la nécessité d’un traitement à vie, comme aux discours sécuritaires qui associent maladie psychique et violence [5], les malades atteints de troubles psychiques proposent des alternatives à la médicalisation de la psychiatrie et appellent à une prise en compte de leurs besoins mais aussi de leurs savoirs profanes et expérientiels [6].
Ces approches alternatives sont tout à fait possibles : dans les pays comme la Norvège ou la Finlande, des équipes proposent des soins mixtes, qui ne renoncent pas aux psychotropes mais qui s’appuient avant tout sur l’accompagnement individualisé et la concertation avec le patient et ses proches. C’est le cas de l’approche par l’Open Dialogue, qui défend la nécessité d’une prise en charge dont le principal « plateau technique » est l’humain.
Dans le contexte actuel d’appauvrissement de l’hôpital public, il est facile mais réducteur de cantonner le soin psychiatrique à la prescription médicamenteuse. L’Open Dialogue invite à penser la complexité des situations et à toujours revenir au dialogue avec la personne concernée.
[1] Baszanger, I. 1986. « Les maladies chroniques et leur ordre négocié », Revue française de sociologie, XXVII, p. 3-27.
[2] Grimaldi, A. ; Caillé, Y. ; Pierru, F. ; Tabuteau, D. 2017. « Introduction, les défis de la maladie chronique », dans Grimaldi, A. Caillé, Y. Pierru, F., Tabuteau, D., (sous la direction de), Les maladies chroniques, vers la 3e médecine, paris, Odile Jacob, p. 53-62.
[3] Falissard B., La médecine est le meilleur alibi de l’hubris technoscientifique, Le Monde, 14 septembre 2022.
[4] Caillé Y. « De l’observance à l’adhésion », dans Grimaldi, A. Caillé, Y. Pierru, F., Tabuteau, D., (sous la direction de), Les maladies chroniques, vers la 3e médecine, Paris, Odile Jacob, p. 427-436.
[5] Velrpy L. Violences, troubles psychiques et société. Regards sur l’actualité: mensuel de la vie publique en France , La Documentation Française, 2009, pp.22-35. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00916463/document
[6] Montet I., « Le secteur psychiatrique », dans Grimaldi, A. Caillé, Y. Pierru, F., Tabuteau, D., (sous la direction de), Les maladies chroniques, vers la 3e médecine, paris, Odile Jacob, pp. 632-643.
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